Média_Billet_17 La mission du pôle de l’emploi
La mission du pôle de l’emploi

Dans le cadre de sa mission de service public, Pôle emploi est en charge de l'accompagnement des demandeurs d'emploi dans leur recherche et répond aux besoins de recrutement des entreprises.
Jusque-là, rien de choquant. Mais il en est chez eux comme dans quasiment tous les services dits publics aujourd’hui : ils se doivent d’être rentables. Cela semble être un non-sens mais à priori pas pour tout le monde.
Madame Lecler a aujourd’hui son premier rendez-vous avec un conseiller. Nouvelle demandeuse d’emploi, son dossier est posé sur la pile de droite du bureau de l’agent Mr Durand, la pile de gauche concernant ceux des BNQ.
Qui sont les BNQ ? les bas niveaux de qualification. C’est ainsi qu’ils sont nommés. Elle, ce n’est pas son cas.
Monsieur Durand est heureux de la recevoir. En fait, il est heureux de voir quelqu’un. En effet, depuis l’arrivée de la Covid, toute rencontre est fortement déconseillée. Mais Madame Lecler est aussi has been que Mr Durand : ils préfèrent tous deux le présentiel pour le bonheur de vivre une vraie relation, comme hier, comme avant, avant quand on pouvait rencontrer des vraies personnes dans des vrais bureaux avec des affiches sur les murs et la photo des enfants encadrées et posée sur un coin d’étagère.
Lors de cette rencontre, qui a finalement besoin d’aide ? Pas la personne que l’on croit…
Mr Durand va mal. Mr Durand est stressé, voire angoissé. En revanche, Me Lecler est en pleine forme, heureuse que son poste soit bientôt remplacé par un logiciel qu’elle a participé à créer. Scier la branche sur laquelle elle était assise faisait partie des derniers objectifs qui lui ont été assignés. Elle a un projet, elle sait où elle veut aller et ce qu’elle souhaite faire : un métier dans la relation d’aide, un métier qui a du sens pour elle. Elle a l’art de permettre à l’autre de se dire et c’est ce qui se passe lors de ce rendez-vous. Mr Durand s’épanche.
Il exprime être joyeux de n’être plus qu’à trois ans de la retraite. Et trois ans dans une vie, c’est quoi ? Il compte les jours mais pas encore les heures. Il a un calendrier affiché au mur avec des journées qu’il prend soin de barrer au fil du temps qui passe.
Mr Durand ne reconnaît plus son métier, ce pour quoi il a été recruté. Accompagner des personnes sur le chemin du retour à l’emploi le passionnait. Il était responsable de 60 dossiers, le temps de faire concorder les offres et les demandes. Aujourd’hui, dans le même temps accordé, il doit en traiter 90.
Sa responsable hiérarchique ne cesse de lui rappeler que le présentiel est déconseillé car traiter les dossiers est plus rapide par informatique. La Covid a bon dos. C’est en fait une belle opportunité de gagner du temps !
Mr Durand transpire parce qu’il n’est plus question pour lui de prendre le temps de rédiger des comptes-rendus après le départ de la personne, tout cela doit se faire en même temps que l’échange. Double compétence instantanée.
Mr Durand accompagne des demandeurs d’emploi ? Non, il doit fournir une rentabilité dans l’accompagnement des demandeurs d’emploi, ce qui n’est pas pareil. Traiter le plus de dossiers possibles en un minimum de temps. Serait-ce un entraînement pour ce qui les attend dans les mois à venir ?
Après avoir partagé sa démotivation et le décalage qu’il ressent avec ses jeunes collègues, il explique ce qu’ils devront faire ensemble et demande à Me Lecler de faire un CV, ce qu’elle a déjà en sa possession.
Il a le regret de lui annoncer que la manière dont elle l’a rédigé ne convient pas du tout. Elle doit le repenser et le reconstruire.
Elle réplique qu’il lui semble tout à fait adapté à ce qu’elle souhaite faire mais Mr Durand lui explique que ce n’est pas possible. Il n’est pas adapté.
Me Lecler repart de cette administration avec ses devoirs de la semaine et ce qu’elle a compris, c’est que le CV en question est avant tout là pour répondre à ce que le Pôle de l’Emploi attend. Oui, il doit être adapté, pas forcément à ses propres objectifs mais à ce que cette grande maison attend.
Aujourd’hui, c’est ainsi.
Uniformiser pour rentabiliser.
Rentrer ça dans des fichiers. Accélérer la saisie.
Faire des statistiques. Se glorifier d’un système repensé.
Au détriment des êtres ? Possible… mais ça c’est un détail…
ANNE WEYER
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