Média_Texte_Il paye l addition
Il paye l'addition

Quand elle annonce à son homme qu'un p'tit être se pointe, il s'emporte soudainement. Il hurle s'être fait avoir, alors qu'il n'a rien fait pour ne pas engendrer. Elle ne veut pas le perdre ce bébé dans son ventre et elle veut le garder, celui qui lui a fait. Tiraillée, affolée, elle défend son point de vue, met son désir devant. Mais il claque la porte, emportant avec lui ses vêtements, ses objets.
Elle est seule à couver, attendant d'enfanter. Elle pleure sur sa vie. Elle en a tant rêvé, fonder une vraie famille ! Etre à deux à élever le fruit de leur amour. Mais elle a mal choisi celui qui serait le père. Et c'est avec sa mère qu'elle s'en va accoucher.
Ils lui posent sur le ventre un tout petit bébé. Elle refuse de le voir, ne veut pas le regarder. "Enlevez-le s'il vous plaît ! Ce gars n'est pas une fille !". Elle pense l'abandonner, récupérer son homme. La honte l'envahit et puis le lit est prêt. Elle l'amène dans son nid. A partir de ce jour, elle est famille monoparentale.
Mais cet enfant l'agace. Et ça, c'est plus fort qu'elle. Elle explose pour un rien, il se terre dans un coin.
Il demande à sa mère qui est son géniteur. Elle refuse de lui dire, elle fait mine d'oublier. S'il insiste quelque peu, elle l'envoie sur les roses. Il n'ose pas insister. Il doit construire un arbre, exercice à l'école. Le sien n'a qu'une seule branche et il se sent bancal. Sa famille maternelle le nie dans sa moitié. Aucune information sur l'homme disparu. L'enfant manque de confiance. Il ne se trouve pas bon. Il se raconte au fond, que tout ça est de sa faute. Il se fait son histoire et puis il porte tout. Il a une toute puissance, le fruit frais de son enfance.
Plus ce garçon grandit, plus se dessine sur lui le visage de son père. Sa mère lui fait porter la responsabilité de la porte claquée. Il est à lui tout seul la masculinité, l'exutoire de cette femme un jour abandonnée. Elle se culpabilise mais elle ne peut contenir ses explosions soudaines.
Les années passent ainsi et elle n'est pas calmée. Il est adolescent, il est mal dans sa peau. Cela fait bien quinze ans qu'il tente de l'égayer, qu'il fait bien tout ce qu'il peut pour lui remonter le moral et la voir rigoler. Mais il est impuissant, ne sait comment s'y prendre. Il répond à ses souhaits, ne lui dit jamais non. Il devance ses attentes mais se trompe souvent. Il prend tout contre lui alors qu'il n'y est pour rien. Cette femme le maltraite parce qu'elle a voulu jouer. Attraper un mari en oubliant le cachet qui bloque les spermato avant qu'ils ne fécondent. Et lui ne comprend pas. Il a bien tout tenté.
Aujourd'hui jeune adulte, il rêve de s'envoler. Mais ses ailes sont en plomb. Alors il abandonne et décide de rester. La dépression de sa mère l'emporte sur ses raisons. Il devient commercial dans le magasin du coin. Il vend de la mémoire pour gros ordinateurs.
S'il y avait des conseils dans chaque maternité, elle aurait pu entendre que le père et le fils, sont deux êtres différents. Qu'elle ne doit pas confondre la fuite et puis sa suite. Que c'est bien elle qui un jour, a choisi ce père là pour son fils. Peut-être aurait-elle pu relier son histoire à celle de son enfant. Son père s'en est allé alors qu'elle était jeune. Et il n'a pas voulu prendre soin de sa couvée. Son fils aurait compris que rien n'est de sa faute. Il aurait pu s'atteler à construire son bonheur, plutôt que d'essayer de soulager sa mère.
ANNE WEYER
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